jeudi 18 avril 2013

Les "Tondues" de la Libération


Cette pratique fut tristement et pourtant massivement répandue sur l'ensemble du territoire français de 1943 à 1946.




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La Libération de la France a été une période complexe où se mêlèrent joie et enthousiasme pour certains mais aussi crainte et tristesse pour d'autres.

Pour cimenter cette joie collective, un exutoire commun permet d'exprimer ces retrouvailles : s'en prendre aux collaborateurs, aux prisonniers allemands, à tous ceux qui ont eu des comportements jugés indignes.
Parmi ceux-là, les femmes qui ont eu des relations affectives avec des soldats allemands seront tondues dans le meilleur des cas...
Pour la plupart d'entre elles, c'est presque toujours la même histoire, celle d'une France occupée dans laquelle des jeunes filles, par insouciance ou inconscience, franchissent les interdits et commettent l'impensable : le délit d'adultère avec l'ennemi de la Nation.



La France sera "virile ou morte". C'est à partir de cette phrase que l'historien Fabrice Virgili fonde son étude sur les tontes des femmes entre 1943 et 1946.



Dans sa thèse, Fabrice Virgili, recense le nombre de tontes et leur périodicité.
20 000 femmes furent tondues entre 1943 et 1946, mais seulement la moitié fut accusée de "collaboration horizontale".

Un tiers pour les femmes détenues, c'est à dire ayant eu des relations sexuelles avérées ou non avec l'ennemi.

Les femmes tondues sont les femmes qui ont subi, à l'issue ou lors d'un conflit majeur, diverses humiliations, dont la tonte de leur chevelure, de la part de compatriotes indignés de leur comportement, généralement des relations intimes volontaires avec les soldats ennemis.

La nature de cette accusation constitue un premier clivage entre les sexes, relatif quand les accusations de dénonciation, de collaboration économique ou politique touchent femmes et hommes de manière similaire, marqué pour les accusations de relations sexuelles uniquement reprochées aux femmes.

Le caractère sexué de la collaboration relève un discours spécifique qui reflète l'image d'une femme incapable d'agir de sa propre initiative.

Soit qu'elle suive l'homme avec qui elle partage sa vie (les femmes de collaborateurs sont autant condamnées que leurs maris), soit qu'elle se conforme à une nature jugée insouciante, irresponsable, cupide ou immorale.

Ce sont les explications avancées par certains tribunaux pour expliquer les actes des collaboratrices.

Les "faiblesses du sexe faible" participent à la représentation des collaboratrices.

La tonte est une sanction de faits sans gravité. Les relations sexuelles avec les Allemands n'influent en rien sur le cours des événements.

C'est un acte symbolique de rupture avec l'ennemi qui produit sa propre image.

Elle devient peu à peu le châtiment unique et exclusif des relations avec les Allemands et la marque provisoire d'une culpabilité sexuelle.
La coupe de cheveux n'est pas le châtiment d'une collaboration sexuelle mais le châtiment sexué d'une collaboration.




La tonte s'apparente à une faiblesse. Quelques hommes ont également été tondus (dans sept départements au moins), mais pour des motifs différents : pour manque de courage ou de virilité, pillage, travail volontaire pour les Allemands, collaboration mais aucune référence sexuelle n'apparaît à leur encontre.

La tonte, les assimilant à des femmes, est une humiliation supplémentaire, dévirilisante, et ne revêt pas le caractère sexualisé des tontes de femmes.

La tonte s'inscrit dans une geste guerrière. Le terme de tondue reste systématiquement et seulement féminin.

Un phénomène massif.

Que savons nous aujourd'hui sur les tontes ?

L'état actuel de la recherche ne nous permet pas de chiffrer précisément ce phénomène. Il n'en demeure pas moins qu'il fut massif. Il concerne toutes les régions de France.

Même dans l'Est de la France, que l'on croyait épargné, il y eut "des femmes aux cheveux coupés", c'est le cas par exemple à Rambervilliers où des manifestants installent dans un café un "bureau de tonte", devant lequel passent douze femmes, travailleuses volontaires en Allemagne ou collaboratrices, les 31 mai et 1er juin 1945.

Les tontes se déroulent autant dans les grandes villes, qui ont toutes "leurs tondues", qu'en zone rurale.

En Charente Inférieure, ce sont les gamins d'un petit village qui à l'exemple de leurs aînés "jouent au maquis... Armés de sabres de bois ils s'emparent du verger, pénètrent au poulailler et libèrent les lapins... Puis tondent trois petites filles".

Plus généralement, les procès verbaux de Gendarmerie offrent, quand ils existent, de nombreux exemples de tontes se déroulant dans des villages, la promenade qui accompagne souvent la tonte s'étend alors d'un hameau à l'autre. Ces mentions sont trop nombreuses pour n'être que le fruit du hasard, on en retrouve pour l'instant dans soixante-dix-sept départements.

C'est bien l'importance de cette pratique qui explique la "postérité" des tontes.

On imagine aussi trop souvent les tontes comme accompagnant les seules journées de la Libération. Elles commencent en réalité plusieurs mois auparavant et ont été annoncées par certains organes de la presse clandestine.

Dès mars 1944, on trouve des mentions concernant des départements aussi éloignés que la Loire Inférieure et l'Isère. Elles se déroulent alors de manière discrète, le plus souvent de nuit lors d'opérations visant des collaborateurs.

Une fois les cortèges de tondues de la Libération passés, cette pratique se poursuit inégalement selon les lieux, sans que l'on sache encore très bien pourquoi elle perdure dans certaines villes. Ainsi, au sujet de quatre ou cinq femmes tondues fin septembre à Tournon, le journal local des FTP signale "qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire".

Dans une petite ville de l'Oise, c'est une affiche intitulée "Liste des femmes dites Poules à Boches, n'ayant pas eu les cheveux coupés" qui tente de relancer les tontes début octobre 1944.


Groupe de femmes tondues, photographiées devant l’entrée principale
du Palais de Justice de Bergerac, septembre 1944

L'historien Fabrice Virgili replace les tontes dans le temps.

Pratiques empiriques, non marquées par une seule date, elles s'inscrivent dans un espace dont l'occupation a varié de 2 à 5 ans.

Quand et où ont lieu les tontes ?

Les premières menaces de tontes apparaissent dans la presse clandestine dès juillet 1941.

Les premières tontes apparaissent dès 1943 entre mars et juin, quand la collaboration s'identifie de plus en plus à la trahison et ce dans quelques départements (Loire-Inférieure, Isère, Ille-et-Vilaine), mais sont clandestines et ne sont pas nombreuses.

Elles sont le fait de groupes résistants qui l'utilisent comme moyen pour faire passer la peur dans l'autre camp. C'est pourquoi les tontes de la Libération ne surprennent pas. Elles sont rentrées dans les moeurs.

Une première vague a lieu entre juin et septembre 1944 au fur et à mesure de la libération du territoire.
Les tontes marquent la libération de plus petites parcelles du territoire souillé par la présence allemande.

La recherche des femmes à tondre a lieu dès l’installation des comités locaux de Libération (CLL), et fait partie de leurs premières tâches, alors que les troupes allemandes peuvent se trouver à proximité. La première vague importante a donc lieu à la fin de l’été 1944.

Ces tontes sont relayées et décrites par la presse, et Radio-Londres (émissions des 20 et 30 août 1944). Des résurgences ont lieu durant l’automne, et des tontes se produisent sporadiquement tout l’hiver.

La maison de la "Tondue" qu'on investit et qu'on marque même avec ce qui reste de cheveux, ou la réappropriation des lieux publics et de pouvoir. La tonte s'effectue dans les rues, les places ou dans les mairies. Généralement en public aux yeux de tous.




Groupe de femmes tondues, photographiées devant l’entrée principale
du Palais de Justice de Bergerac, septembre 1944

Une deuxième vague importante, en revanche, se dessine nettement entre mai et juillet 1945, lors de la capitulation allemande (et ce, malgré une condamnation de cette pratique dans l'opinion publique dès octobre 1944).

Elle correspond à la conjonction de trois phénomènes.

C'est la période du retour des déportés, des prisonniers de guerre, des requis au STO (ces derniers participent aux tontes de celles qui avaient suivi les Allemands dans leur défaite ou des femmes de prisonniers). Mais aussi des travailleurs volontaires et de celles et ceux qui sont partis avec les Allemands lors de leur retraite.

Ces femmes qui reviennent d’Allemagne sont tondues, souvent sur le quai de la gare. Des femmes qui avaient échappé à la première vague, ou qui sont libérées après une peine jugée trop légère, souvent au printemps 45, sont également "Tondues". La dernière tonte recensée a lieu en Savoie en février 19469. Ces tontes se poursuivent jusqu’à la fin de 1945 (les retours ont lieu jusqu’à l’automne).

C'est aussi la découverte de l'horreur des camps. Retour des rescapés, images des camps, témoignages publiés par la presse provoquent un véritable choc dans la population.

La volonté d'une épuration en profondeur est ainsi relancée.

C'est aussi le moment où un certain nombre de personnes, arrêtées à la Libération, sont relâchées après quelques mois d'internement. Pour beaucoup, elles semblent s'en tirer à trop bon compte. Tontes, attentats, exécutions viennent compléter une épuration légale jugée trop clémente ou incomplète par certains.



Le Préfet du Jura note dans son rapport bimensuel.

"C'est la première fois depuis de très nombreux mois, et dans différents centres du département, on s'est emparé de certaines femmes pour leur couper les cheveux; on s'en prend aussi bien à des femmes de mœurs légères, qu'à d'autres personnes de conditions sociales plus élevées, qui s'étaient fait remarquer pendant l'Occupation".

On assiste ainsi à ce que l'on pourrait qualifier "d'épuration extra-judiciaire rampante" jusqu'à la fin 1945, voire le début de l'année 1946.

Le prolongement des tontes dans le temps ainsi que leur extension sur l'ensemble du territoire expliquent la grande variété de leur déroulement.

Beaucoup en effet ne correspondent pas à l'image qui demeure aujourd'hui. La tonte ne se déroule pas toujours devant une foule en liesse ou en furie, elle n'est pas seulement l'œuvre de résistants de la dernière heure, elle ne châtie pas uniquement les relations sexuelles avec l'occupant, et n'est pas toujours un moyen de canaliser la violence vers le lampiste aux dépens des collaborateurs plus importants.


Souvenir appartenant à un ancien patriote de Brest
Mèches de cheveux coupées après la libération de Brest le 24 septembre 1944

Et pourtant c'est bien cette image que la mémoire a conservée ou, pourrions-nous dire, a créée. Les photographies des tontes, fréquemment publiées mais somme toute peu nombreuses, les romans et quelques récits de témoins sont la partie émergée de cette histoire.

Est mis en avant le châtiment : la coupe des cheveux, qui prend le dessus sur le délit. La lecture du châtiment suffit alors à caractériser "la Tondue", elle est punie dans son corps, c'est donc son corps qui est coupable.

La destruction d'un des attributs de la séduction (la chevelure) implique ce que les contemporains appellent la "collaboration horizontale".




Les principales intéressées se sont tues et se taisent encore de nos jours. Très peu parle. Il n'est pas facile de recueuillir des témoignages de "Tondues".

Les historiens ne se sont pas arrêtés, au-delà de quelques lignes, à ce qui apparaissait peut-être trop comme une anecdote, un épiphénomène, un "décor" de la Libération. D'où l'importance de la mise en perspective de cette image de la tondue avec les sources aujourd'hui étudiées.

Ces sources, en fonction de leur origine, offrent une vision partielle et partiale de la tonte. Les mises en scène du corps de la tondue qu'elles décrivent peuvent être résumées à trois fonctions distinctes. Ce corps est, successivement ou simultanément selon les cas, image de la faute, image de châtiment et, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes, image positive d'une reconstruction.

Les tontes s'imposent comme un événement à part entière, imbriqué dans un contexte général mais ayant sa propre dynamique.

Ce n'est donc pas un simple aspect des journées libératrices ou une simple manifestation spontanée ; il relève des moments de fracture ou de consensus de la communauté nationale.

Dans les documents étudiés, la faute, ou le crime imputé à "la Tondue" occupe souvent une place plus importante que la coupe des cheveux elle-même.

Le traumatisme de l'occupation, les restrictions, les peurs, la faim et toutes les frustrations de la période, semblent alors exploser dans la description de celles qui seraient passées au travers de ces privations. "La vie de noces" supposée de ces femmes apparaît comme une injure aux souffrances du plus grand nombre.

Les reproches invoqués peuvent alors toucher chaque aspect de la vie quotidienne. Ce sont des meubles et un poste de TSF que l'on reproche à une infirmière de Rochefort sur Mer d'avoir obtenu d'un Allemand, comme d'être raccompagnée en voiture, de pouvoir rentrer après l'heure du couvre-feu, de consommer du vin et des liqueurs, d'écouter de la musique et de danser alors que les bals sont interdits, de confectionner des gâteaux pour toutes les autres... La liste de ces griefs est longue.

Si l'on a ainsi une image en négatif des frustrations de la population, ce qui exprime le plus ce reproche d'une vie de jouissance dans une période de souffrance est bien sûr l'accusation "d'avoir couché avec les boches".

Il y a ainsi, par le vocabulaire de désignation de ces femmes, par la description plus ou moins fantasmée de leurs relations avec les Allemands, la construction d'une image érotisée des "Tondues".

C'est probablement un des éléments qui fait encore croire que la tonte est le châtiment exclusif de ces relations sexuelles avec l'ennemi.

Les articles de presse, malgré la violence de certains propos tels que "paillasse à boches", restent dans l'ensemble relativement pudiques. Le vocabulaire est plus feutré, moins directement vulgaire ; ainsi le terme le plus fréquemment utilisé est celui de prostituée, accompagné parfois de variations sur le même thème, telles que "égéries à doryphores", "cocodettes frivoles", "hétaïres de haute volée" ou celles qui ont "fridolinisé sur les matelas".


Photo Robert Capa
Femme tondue pour avoir eu un enfant d’un soldat allemand
Chartres, 18 août 1944

On imagine cependant mal une foule utilisant ces expressions à l'encontre d'un cortège de femmes tondues.

Ces expressions "journalistiques" reflètent néanmoins, en les déformant, les sentiments exprimés de manière beaucoup plus directe lors des témoignages recueillis par les gendarmes.

On a alors toute une palette de cette rancœur, souvent investie de fantasmes à l'encontre de celles qui sont soupçonnées d'avoir pratiqué "la collaboration horizontale".

L'extrait ci-dessous d'un procès-verbal de gendarmerie montre très clairement la place de la rumeur dans le processus d'accusation d'une femme.

Enquête suite à lettre anonyme dénonçant un avortement de Mme X, 25 ans, ménagère, mari prisonnier de guerre, internée.

Témoin n° 1 "...elle est réputée comme étant de mœurs légères et a beaucoup fréquenté les Allemands..."

Témoin n° 2 "...cependant à en croire la rumeur publique elle aurait fait un avortement. Il est notoire qu'elle a beaucoup fréquenté les Allemands et qu'elle a été bien critiquée à ce sujet..."

Témoin n° 3 "...tout ce que je puis dire c'est qu'elle a fréquenté les troupes occupantes..."

Témoin n° 4 "...la rumeur publique lui reproche d'avoir collaboré intimement avec les troupes d'occupation..."

Témoin n° 5 "...à en croire la rumeur publique elle passait pour être enceinte...".

Mme X "...je nie énergiquement les faits qui me sont reprochés..."

Ne pas savoir si cette femme a été tondue, ni si les faits reprochés sont exacts, n'a que peu d'importance dans ce cas.

On note que la multitude des témoignages à charge n'apporte, ici, pas plus de faits tangibles, ils jouent tous sur un même registre : celui de la réputation de cette femme.

Nombreux sont ceux qui ignorent encore l'horreur des camps, les rafles et persécutions de tout ordre, mais beaucoup semblent tout connaître des pratiques sexuelles de l'occupant avec les "filles du pays".

La "rumeur publique" permet de condamner les mœurs par trop légères de ces femmes. Elle a aussi pour fonction de pénétrer les lieux clos, comme le domicile de ces deux Grenobloises où se déroulaient "des noces crapuleuses dont les échos retentissaient dans tout le quartier".

L'observation des allées et venues, l'écoute des bruits d'orgie ou plus simplement de musique, les scènes furtives volées au travers d'une persienne, d'une porte, deviennent ainsi un véritable récit construit sur le réel, l'imaginaire et le fantasme. Il permet au public de faire irruption dans le privé pour une narration de cette vie de débaucheé. La rumeur s'enrichit ainsi de multiples images de la jouissance.





 


Hélène Eck souligne que "la Libération révèle à quel point les circonstances de l'Occupation ont brouillé les frontières de la vie privée et publique".

Toutes ces descriptions en effet dépassent le cadre du simple ragot de voisinage désignant "l'aguicheuse" ou "la putain du village".

Vient s'y superposer un discours d'ordre politique qui, lui, est propre à la période. La "femme de mauvaise vie" l'est avec les Allemands, il ne s'agit plus simplement d'une attitude trop indépendante, d'une sexualité extra-conjugale interdite aux femmes, mais bien d'une trahison.

"Cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère avec les ennemis de notre Nation". Morale et politique se confondent alors pour déposséder les femmes de leur propre corps.

Le châtiment d'une collaboration d'un caractère particulier nécessite de s'appuyer sur le délit d'adultère étendu du cadre familial au cadre national.

L'historien Fabrice Virgili met l'accent sur la portée symbolique de cette pratique ; il en détermine plusieurs axes.

Les tontes sont d'abord l'expression d'un peuple libéré et qui a souffert. La "Tondue" est plus coupable de ne pas avoir souffert que d'être réellement complice des violences de l'occupant.

C'est un exutoire des peurs et des souffrances.

Les tontes sont une punition de personnes en tant que femmes, une violence exercée contre non pas des femmes mais les femmes.

En effet, il n'y pas un portrait type de "la Tondue", pauvre fille qui se jette dans les bras de l'ennemi.
Toutes les catégories sociales et socioprofessionnelles sont touchées mais des dominantes peuvent être tracées.

Ce sont celles qui sont en contact avec l'occupant, pour des raisons professionnelles diverses. Prostituées, femmes de ménage, commerçantes etc...

Ou en raison de leurs domiciles. Les institutrices dont l'appartement de fonction jouxte souvent celui requis par les autorités militaires, qui sont représentées en priorité.

Un cultivateur de l'Yonne se souvient de "l'avoir vue (l'institutrice du village) donner un soir des cours de français à un officier allemand sur les genoux duquel sa sœur était assise. Ceci se passait chez le marchand de chaussures".

De son côté, une couturière d'un village du Var déclare : "je les ai vues (trois jeunes institutrices tondues dans le village) s'amuser, rire, plaisanter et même un certain jour avec eux (des officiers allemands) jouer à s'arroser en tenue de bain, dans la cour de l'école".

Nombreuses sont ces images qui insistent sur une tenue, une attitude. Ajoutées les unes aux autres, elles offrent une vision parfaite et globale "d'une vie de débauche".

Des femmes plutôt jeunes, célibataires, ayant une activité professionnelle plus importante. Donc, des femmes qui échappent à la surveillance communautaire, familiale ou professionnelle, sur qui la suspicion est plus facilement portée.

Un bûcheron de l'Oise qui déclare aux gendarmes venus l'interroger.

"En 1940 j'ai pris des photographies au moment où Mme X se trouvait avec ces militaires dans le jardin du débit, dans des poses qui indiqueraient la mauvaise conduite de cette jeune fille. Je ne peux pas vous les montrer, je les ai caché en 40 et depuis n'ai pu remettre la main dessus".

Le caractère spécifique de l'acte l'emporte sur la réalité de la violence.
On tond la chevelure qui est un aspect essentiel de la différenciation sexuelle de l'apparence.



La tonte comme châtiment sexué se retrouve dans de nombreuses sociétés humaines de l'Antiquité au 19ème siècle. Elle modifie le paraître à une époque où le corps a été objet de valorisation esthétique et vecteur idéologique par les totalitarismes.

Elle change le rapport à soi et aux autres. En tondant, on rejette l'entière culpabilité sur les femmes jugées séductrices . La chevelure est devenue le vecteur d'une collaboration des corps qui relègue en deuxième plan l'idéologie et les sentiments. C'est pourquoi la mise en scène des tontes met aussi en avant un processus de réappropriation des corps féminins.

Marquage comme destruction symbolique du corps coupable, désacralisation qui interdit à la tondue de recouvrir les attributs de la féminité et d'avoir une sexualité, le corps étant le reflet de la laideur morale désignée dans les discours.

La présence de la foule est indispensable pour que le châtiment existe.

Les femmes sont condamnées car elles ne se sont pas conformées au modèle dominant.

Les relations sexuelles ne relèvent pas seulement la trahison mais montrent une vie construite autour du plaisir et d'une sexualité autonome.

Ce qui n'était pas accepté avant et pendant l'Occupation ne l'est toujours pas après.
Le corps féminin reste perçu comme une "propriété collective".

C'est donc la représentation des femmes dans le discours masculin que traduisent les tontes.

La Libération est un moment d'affirmation et de rassemblement, d'affirmation de soi par la projection de chacun dans un collectif local et national à travers la reconstruction d'un sort commun. Les tontes constituent dans ce contexte un moment de réapppropriation d'un passé républicain, le retour d'un héroïsme combattant, une identification à une souffrance, une virilité retrouvée sans que disparaissent les traits d'une société valorisés et amplifiés par le régime de Vichy comme la domination masculine.

Les tontes signalent la fracture sexuelle que l'Occupation a constitué. Les hommes ont échoué car ils n'ont pu empêcher la défaite et n'ont pas protégé le pays identifié alors au féminin.

Mais, la débâcle a été transformée en trahison féminine dans le discours de Pétain. Les femmes sont responsables de "l'esprit de jouissance" qui a nui à la France.

Aussi, le régime s'attache à distinguer patrie et femme (Marianne disparaît alors des symboles au profit du buste de Pétain ) et à réduire l'identité féminine à celle de la mère enfermée dans son foyer.



C'est ainsi que la collaboration sexuelle devient celui de la défaite absolue. La femme se couche avec l'Allemand comme elle a entraîné la France à se coucher devant l'Allemagne.

La lutte contre l'occupant et la Libération permettent le retour du guerrier qui renoue avec la répartition traditionnelle des rôles en temps de guerre.

Cette résurgence de la virilité se traduit dans les faits par l'exercice massif d'une violence sexuée qui veut désigner la frontière entre "la Française", digne, qui reste avant tout une épouse, une mère, une soeur, une gardienne du foyer et des valeurs patriotiques pendant l'absence des hommes et "la Collaboratrice", indifférente au sort de son pays, prête à toutes les compromissions, égoïste dont les trahisons s'étalent au grand jour.



Les combats de la Libération se sont accompagnés de scènes violentes.

Des collaborateurs sont lynchés publiquement et des femmes, accusées à tort ou à raison d'avoir fréquenté des Allemands, sont humiliées, tondues ou parfois tatouées de croix gammées.

Les relations sexuelles avec l'ennemi ont été une trahison, une transgression des règles communautaires.
La "Tondue" est donc exclue bien après la repousse des cheveux par des mesures d'interdiction de séjour, d'internement ou d'exécution (certains demandent qu'elle ne puisse bénéficier du droit de vote).

L'événement de la tonte ne se réduit donc pas à une punition collective d'un acte jugé répréhensible, il témoigne du rapport historique entre singulier et collectif, entre intime et public.

À la fin du mois d’août 1944, pour l’immense majorité des Périgourdins, les rires succèdent aux larmes : le département de la Dordogne est enfin libéré de toute occupation allemande.
C’est un fait : les "Tondues" de la Libération sont nombreuses à Bergerac, Périgueux, Sarlat, Mussidan…

Volonté de justice ou fureur de punir ?

La question demeure sensible. Il est vrai que, dans le département, les exactions commises par les forces d’occupation nazies et leurs supplétifs sont terribles.

Les passions sont exacerbées et les foules réclament des boucs émissaires !

Les événements qui s’en suivent provoquent, a posteriori, un profond traumatisme dans l’opinion… sentiment de malaise que chacun tente de bien vite effacer.

Peine perdue : les "Tondues" ont définitivement marqué le souvenir collectif.



Bien qu’aujourd’hui le sujet soit encore brûlant, une relecture de cette page obscure de notre histoire s’imposait.

Dans son édition n°17-18, la revue Arkheia – Histoire, mémoire du XXe siècle en Sud-Ouest – consacre tout un dossier aux "Tondues" de 1944 en Dordogne.

L'auteur du dossier, Jacky Tronel, s'appuie sur des sources d’archives publiques et privées, sur les journaux de l’époque (Combat républicain, Les Voies nouvelles, France libre, Bergerac libre…), sur quelques témoignages, ainsi que sur une collection de photos et de cartes postales des "Tondues" de Bergerac.

Que ressort-il de cette étude ?

À rebours des idées reçues, qui voudraient que les tontes aient été accomplies spontanément, dans la liesse de la Libération, l’analyse révèle qu’elles furent instrumentalisées et planifiées de longue date, le plus souvent avec le blanc-seing d’autorités administratives établies et souveraines.

Au fil des photographies, pour la plupart inédites, l'historien scrute les différentes étapes de cette mise en scène, de ce "carnaval moche" au cours duquel le coiffeur du village apparaît en blouse blanche, où le photographe est convié pour immortaliser une scène dont la dimension voulue comme pédagogique est patente.



Mais pour quoi faire ?

La mémoire collective n’a voulu reconnaître dans ce type d’événement qu’une seule cause, celle de “collaboration horizontale”.

Pourtant, l’examen des dossiers de procédure, ainsi que les registres d’écrou de centaines de femmes internées au camp de Mauzac révèlent que le motif de “relation (sexuelle) avec l’ennemi” est notoirement insignifiant : l’atteinte à la sûreté de l’État, la trahison, l’intelligence avec l’ennemi représentant près des neuf dixièmes des causes d’emprisonnement.

Il n’en reste pas moins que ces femmes subirent une double peine. Pour s’être engagées dans la mauvaise voie au nom de leurs idées politiques ou bien de choix personnels (ce qu’elles payèrent en tant que citoyennes justiciables) et pour l’avoir fait en tant que femmes.


Quand il s’agit d’évoquer la Libération, curieusement, ce sont toujours les mêmes images qui me viennent à l’esprit. Les scènes de liesse populaire, les défilés de résistants paradant dans les rues des villes et des villages libérés, les cérémonies patriotiques, les drapeaux suspendus dans les rues, les bals et les flonflons sur les places publiques… les tontes des “collaboratrices”.

Ce qui leur valut de subir ce cérémonial avilissant… sans parler de toutes celles qui furent "Tondues" pour des crimes qu’elles n’avaient pas commis, sur dénonciation, “pour l’exemple”…



Vouées à la vindicte publique et humiliées, exhibées sous les quolibets et les crachats de la foule, ces femmes “épurées” n’ont souvent rien compris du déferlement de violence dont elles ont fait l’objet.

Elles furent le plus souvent les victimes expiatoires de quatre années d’Occupation.

Le rituel du spectacle expiatoire a ses constantes. Cortèges bruyants de femmes et surtout d'hommes promenant à travers villages, bourgs ou villes des femmes portant sur le front, sur la poitrine, voire sur d'autres parties du corps, tracées au goudron ou à la peinture, des croix gammées et des inscriptions explicites: "a dénoncé", "Collabo", et plus souvent encore "a couché avec les boches".

Les victimes étaient presque toujours à demi, parfois totalement dévêtues. Certaines portaient dans les bras leur enfant. Si elles n'avaient pas été immédiatement tondues, elles l'étaient de façon solennelle, sur une estrade placée devant un bâtiment public, et elles restaient ensuite exposées, comme jadis au pilori.



Cette "coiffure 1944" était infligée à des femmes considérées soit comme des délatrices, soit comme des "collaboratrices à l'horizontale". Il a été couramment admis, mais trop vite, que ces dernières étaient en majorité des prostituées, ce qui permettait de supposer que les Françaises (en exceptant Arletty ou Coco Channel, qui avaient pu s'afficher avec un officier allemand), avaient été vraiment peu nombreuses à succomber au charme de l'occupant.



On affirme volontiers que les explosions de haine à leur encontre ont été brèves et localisées, et qu'elles étaient menées par des résistants de la onzième heure à qui ce zèle purificateur permettait d'acquérir à bon compte une conduite patriotique.

En fait, malgré les instructions officielles, des femmes continuèrent d'être tondues jusqu'a la fin de l'hiver 1944 1945. Et ce furent assez souvent des chefs des maquis ou les responsables des Comités de Libération qui patronnèrent ces cérémonies expiatoires.

Ces comportements représentent une sorte de défoulement, après la tension insupportable des semaines qui ont précédé la Libération, ils témoignent de l'exaspération de ceux qui avaient vécu quatre années d'humiliation, qui venaient de subir les ultimes exactions de l'occupant et de ses complices français.

Ce qui explique que la virulence populaire fut souvent proportionnelle à la violence des derniers affrontements avec la Wehrmacht ou la Milice.

La désignation de boucs émissaires a pris alors une tournure sexuée : au trop classique voyeurisme des mâles, s'est ajouté le sentiment plus ou moins confus que ces femmes, qui avaient trahi la France en livrant leur corps, devaient recevoir un châtiment spécifique à leur sexe.

On n'aura garde d'oublier, malgré tout, que, en ce qui concerne celles qui furent accusées d'avoir dénoncé (et les délatrices avaient été nombreuses), cette humiliation leur permit assez souvent, semble-t-il, d'échapper au peloton d'exécution qui attendait les délateurs.

Reste que la mémoire officielle préféra refouler l'existence des "Tondues".
Ce sont les écrivains et les cinéastes qui ont su évoquer et reconstituer le parcours des malheureuses ainsi mises au pilori.

Citons Marguerite Duras et Alain Resnais, dont l'héroïne tondue de Hiroshima mon amour s'explique :
"Je devins sa femme dans le crépuscule, le bonheur et la honte".

Et le poème bien connu de Paul Eluard, Au rendez-vous allemand, porte précisément en exergue la phrase :

"En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On alla même jusqu'à les tondre".

Ses six premiers vers en disent long ...

Au rendez-vous allemand
Paul Eluard
1944

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

L’historien Fabrice Virgili arrive même à débusquer quelques découvertes renversantes : outre le fait que la vision négative de cette pratique surgit dès la Libération. On peut en prendre pour illustration ce poème, d'une des plus grandes figures intellectuelles de la Résistance, Paul Eluard "Comprenne qui voudra", ou que les prostituées échappent souvent à cette condamnation en retour du caractère professionnel de leurs fréquentations, on apprend qu’une cinquantaine d’hommes ont été tondus.

Pour la plupart il s’agit de jeunes qui refusent de partir combattre les Allemands après la libération de leur région (un engagement qui n’a rien de négligeable au demeurant puisque quelque 20000 soldats furent tués), et que des résistants sanctionnent de la sorte l’emprise du châtiment dans la société française permet toute forme de glissement, si elle ne désigne pas dans le cas présent une collaboration, elle permet la dénonciation d’un manque de courage, d’une absence de virilité combattante, corroborant l’inscription de la pratique dans une geste guerrière. (…)

Aucun homme n’est tondu pour avoir eu des relations avec une Allemande ou un Allemand. La sexualité masculine demeure une affaire privée. Les hommes disposent d’une liberté sexuelle implicite et si le corps des femmes est objet de réappropriation, celui des hommes est surtout objet de silence".

Gabriel Péri
Paul Eluard

Un homme est mort qui n'avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n'avait d'autre route
Que celle où l'on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l'oublie
Car tout ce qu'il coulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd'hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre[2]
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amies
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.



Gabriel Péri était un journaliste apprécié des résistants
Il faisait partit des 92 otages fusillés le 15 décembre 1941 au mont Valérien
Péri défendait la vie contre les fusils, sa mort prend la valeur d'un martyre


"Quand la tondeuse vengeresse la privera t'elle d'un de ses moyens de séduction ?" s'interroge l'éditorialiste de La Libération de l'Aunis et de la Saintonge.

On assiste alors à une mise en scène du corps de la femme qui a séduit l'ennemi, qui a profité de l'Occupation pour échapper aux souffrances, qui s'est vendu au "boche".

Que se soit par les insultes de la foule "Puisque tu as fait la putain avec eux depuis quatre ans, toi aussi tu vas prendre", l'apposition de pancartes "raous... j'ai couché avec les boches !...", la mise au pilori

"Sommairement vêtues ou barbouillées, le crâne tondu, celles-là passent au pilori avant d'être dirigées sur les prisons", ou dans certains cas la dénudation, le corps est mis en avant dans cette cérémonie expiatoire.

Le corps est ainsi dégradé par la coupe des cheveux, mais aussi par les coups, les inscriptions de croix gammées faites au goudron ou à la peinture, ou encore, en détournant un autre élément de la séduction, le rouge à lèvre.

Il s'agit par la tonte non seulement d'exclure la femme de la communauté nationale, mais aussi de détruire l'image de sa féminité. À l'érotisation qui prépare la tonte, succède ainsi un processus de désexualisation. Le corps ne doit être alors que le support des signes de la trahison.

Elles porteront sur leur corps la trace de leur infamie [...] celles qui sont indignes des noms de femme et de Française.

Les coupables perdent leur nom de femme pour n'être plus désignée que sous le vocable de "Tondue"; il y a destruction symbolique du corps sexué, la destruction réelle du corps par l'exécution n'étant que très rarement l'issue d'une tonte.

Le seul témoignage de la séduction passée de ces femmes réside dans les mentions des "mèches blondes et brunes qui ne tardèrent pas à joncher le sol". Ces mèches restent sur le sol, "la Tondue" s'éloigne, la rupture a bien eu lieu avec les années noires.

La coupe des cheveux a bien pour fonction d'enlaidir ces femmes au point de les "effacer" de la communauté.
Elles portent publiquement les marques de leur infamie ... elles sont rejetées du sein de la Nation française.
La laideur physique de ces crânes rasés vient naturellement orner ou plutôt révéler à tous leur laideur morale.

On relève dans le quotidien Voies Nouvelles ce passage qui semble se complaire dans la description de cette dégradation :

" Un être étrange bizarrement humain menait la danse. À force d'écarquiller les yeux, on reconnut des formes féminines et, sous un crâne en boule d'ivoire marqué de la peinture infamante, des yeux torves, une bouche baveuse : la hideur d'un déchet".

Ces descriptions, comprenons-le bien, concernent avant tout les "Tondues" et non les tontes. Celles-ci paraissent bien anodines pour la plupart, quand elles sont mises en parallèle avec les horreurs de l'Occupation et du nazisme.

Il s'agit donc de détruire l'image de ces femmes sans détruire l'image d'un peuple qui se libère.
Accusation que l'on retrouve cependant dans certaines prises de position : "ne salissons pas notre victoire, notre belle victoire populaire" proclame par exemple La Marseillaise au sujet d'une dénudation publique.

La plupart de ces descriptions jouent plus sur le registre de la moquerie que sur celui de l'horreur. Ce sont des variations sur le thème de "l'esthétique de la nouvelle ondulation" qui sont utilisées dans ces représentations. On ironise ainsi sur ceux "qui ont manié la tondeuse sans se soucier des règles posées par la mode ou l'élégance...

Des profanes dans l'art de la peinture (qui ont) employé le goudron pour corriger des femmes de leur inconduite notoire". Ce jeu d'équilibre entre description de la laideur et préservation de l'image de la Libération conduit au paradoxe de voir les symboles honnis du nazisme devenir "de magnifiques croix gammées" quand celles-ci ornent les joues, le front et la tête des tondues d'Albi.

Les crânes rasés des "collaboratrices horizontales" deviennent une image positive de l'épuration et de la reconstruction et la "tondeuse épuratoire" en est un instrument privilégié.

La coupe des cheveux se transforme en mesure d'hygiène, la condition nécessaire au nettoyage du pays.
Il faut qu'à leur retour (prisonniers et déportés) la "désinfection" soit terminée, pour les recevoir dans une Saintonge calmée et propre.

Comme la tête d'un gamin que l'on débarrassait de ses poux , les chevelures de ces femmes renferment "les miasmes de l'infection bochisante". Au-delà du discours, on assiste à une véritable campagne prophylactique dans le département des Pyrénées-Orientales où le CDL y prend la mesure suivante.



Certaines catégories de femmes sont exclues de la tonte dans certains territoires : ainsi, le Comité De Libération des Pyrénées-Orientales exclue les prostituées de la tonte, car elles n’ont fait que leur métier, mais prévoit que toutes les femmes ayant eu des rapports intimes avec l’ennemi auront la tête rasée.

"à l'exception des prostituées des maisons publiques, les femmes qui ont eu des rapports intimes avec les Allemands devront avoir la tête rasée. Et seront en outre soumises pendant six mois à la visite médicale bi-hebdomadaire à laquelle sont astreintes les prostituées surveillées".

La "collaboration horizontale" est vécue, dans le prolongement de l'adultère à la Nation, comme une véritable souillure dont est victime le pays. C'est le corps de Marianne qui en est à la fois l'auteur et la victime. Un avocat, dans une forme de justice particulière aux Cours martiales, peut ainsi réclamer "une punition de rigueur (pour sa cliente, coupable) d'avoir déshonoré la femme française".

La coupe des cheveux doit permettre au pays de retrouver son honneur, d'effacer la souillure portée par le corps de ses femmes. Alain Brossat l'indique dans un chapitre où il fait le parallèle avec le châtiment des sorcières.

Tout se passe comme si "la Tondue" était chargée d'emporter avec elle dans le désert de l'exil social tous les péchés, tous les crimes de la collaboration.

C'est à cette condition que le pays peut retrouver son unité. La "Tondue" devient ainsi un formidable enjeu de réappropriation. La participation active ou passive d'une part importante de la population, la mise en scène du cortège et du châtiment font partie de la reconquête d'un espace perdu.

Ainsi comme le souligne Pierre Laborie :

C'est à la lumière de ce passage brutal de l'abattement à l'explosion qu'il faut aussi juger les débordements et les démonstrations excessives de la Libération.

Les tontes, avec les défilés, les maisons pavoisées, les bals "sont belles" parce qu'elles expriment les promesses de lendemains qui chantent, une fierté retrouvée aux dépens de ces femmes qui n'ont pas compris que, plus que jamais, leur corps ne leur appartient pas. Il est comme tout le reste un enjeu politique. Avoir eu des relations sexuelles avec un soldat allemand devient alors "la grande trahison des garces".

La collaboration féminine durant la Seconde Guerre mondiale concerne en majorité des employées de bureau et des femmes apportant des renseignements à l’armée allemande, ainsi que la collaboration sentimentale.

Le terme de collaboration horizontale s’applique quand les femmes des pays occupés ont accepté durant l’Occupation, d’avoir des relations sexuelles avec un Allemand.
Le phénomène est important : environ un cinquième des collaborateurs poursuivis sont des femmes.

Environ 6000 femmes sont incarcérées à Fresnes en 1946 pour collaboration.
Elles sont condamnées globalement aux mêmes peines. Travaux forcés, prison, voire peine de mort.

Cependant, les motifs d’inculpation diffèrent : dans 68 % des cas, elles le sont pour dénonciation. Les autres motifs sont les relations intimes avec l’occupant "collaboration horizontale", la prostitution, les relations (familiales, amicales ou d’intérêt) avec des collaborateurs, et un emploi à la Gestapo ou à l’Abwehr.

Quelques condamnations sont prononcées également pour collaboration économique, marché noir, propos antinationaux et adhésion à un organisme collaborateur.

La sexualité n’est souvent pas un motif retenu de poursuites : la chambre civique de Rennes casse un arrêt de celle de Quimper, en considérant que les relations sexuelles avec un membre des troupes d’occupation "ne constituent pas une aide directe ou indirecte à l'Allemagne".

La promiscuité avec ces troupes entraîne cependant un plus grand soupçon concernant la délation.

La répression de la collaboration féminine ne diffère pas de la l’épuration générale : des exécutions sommaires ont eu lieu. 454, dont quelques unes paient pour un homme de leur entourage, époux, patron, fils, amant, parfois la tonte des coupables les punit dans leur corps ; ensuite, la répression judiciaire prend le relais.

Deux camps sont réservés aux femmes collaboratrices, à Jargeau et Haguenau. En 1946, elles sont internés dans 14 centres spécialisés, dont deux centrales (Rennes et Haguenau).
En 1951, la seule centrale subsistante est celle de Rennes.

Dans certains départements à forte présence militaire allemande, le nombre de femmes condamnées à l’indignité nationale est supérieur au nombre d’hommes condamnés à la même peine, essentiellement pour "collaboration sentimentale" (terme administratif d’époque).

Dans le Morbihan (où se trouvent les ports de Lorient et Vannes), 55 % des personnes arrêtées, mais 69 % des condamnés sont des femmes.
Elles sont de plus, condamnées à des peines plus lourdes que les hommes.

Lorient offre un cas particulier, étudié par Luc Capdevilla : la ville résiste jusqu’à la fin de la guerre, et les civils sont évacués à 90 % en février 1945. Dans les 194 collaborateurs arrêtés le 8 mai, 189 sont des femmes, concubines de soldats allemands. Ils s’agit essentiellement de femmes jeunes, voire mineures, de milieux pauvres, sans ressources ni solidarités (orphelines d’au moins un parent pour la moitié d’entre elles), déracinées (un tiers viennent de l’extérieur de la Bretagne).

L’image répandue de la femme légère, changeant souvent d’amants ou trompant son mari prisonnier en Allemagne, ne concerne que quelques unes de ces femmes, qui cherchaient pour la plupart un protecteur.

Les reproches qu’on leur adresse tiennent plus à leur anti-conformisme, voulu ou subi : elles sont indépendantes financièrement car elles travaillent, disposent de leur corps en ayant un amant hors-mariage, voire en n’ayant pas d’enfant, le tout en-dehors de toute structure patriarcale.

Il est important de bien distinguer l’épuration extrajudiciaire, qualifiée de “sauvage”, de l’épuration judiciaire, qualifiée de “légale”.

À l’initiative des organisations issues de la Résistance (FFI, Comités de Libération) et des commissaires de la République, des tribunaux réguliers sont établis.

Ils succèdent aux juridictions exceptionnelles et portent le nom de cours martiales, de tribunaux militaires ou de tribunaux populaires.

Le 5 septembre 1944, une Cour martiale composée de FFI est créée en Dordogne. Elle siège à Périgueux jusqu’au 20 octobre 1944.

En 23 sessions comparaissent 172 personnes.
20 % d’entre elles sont condamnées à mort.

Le 6 novembre 1944, une juridiction civile, la Cour de justice, est mise en place.
Entre le 13 novembre 1944 et le 4 août 1945, elle tient 119 audiences.

Du 28 novembre 1944 au 30 juillet 1945, parallèlement à la Cour de justice siège une Chambre civique. Elle juge les faits de collaboration mineurs et prononce 176 condamnations à l’indignité nationale.

Si les tontes sont dans leur quasi totalité extra-judiciaires, il n'en existe pas moins un débat sur les poursuites pour "collaboration horizontale".

Comme le montre ce rapport du Commissaire Régional de la République, les avis sont partagés sur les bases juridiques qui doivent permettre de sanctionner celles qui en sont coupables.

Des divergences se sont produites entre les décisions des Chambres civiques relativement à la répression de la collaboration horizontale. Alors que certaines Chambres civiques se saisissent de tous les cas, quelles que soient les intéressées et les circonstances, certaines autres entendent faire des discriminations.

Les unes refusent de prononcer l'Indignité nationale des femmes qui font de la prostitution leur métier, estimant que leur conduite revêt un caractère professionnel et nullement politique. D'autres se demandent si la Chambre civique peut se saisir en l'absence d'une plainte déposée par le mari, la collaboration horizontale étant d'abord un adultère.

Bien qu'il s'agisse là d'interrogations juridiques qui n'ont pas d'effet sur la décision de tondre, elles marquent les réticences à confondre vie privée et vie publique. La référence juridique reste pourtant l'article 1 de l'ordonnance du 26 décembre 44, qui déclare "coupable d'indignité nationale tout individu qui a sciemment apporté, en France ou à l'étranger, une aide directe ou indirecte à l'Allemagne". Les relations intimes en font donc partie.

La situation des femmes de prisonniers de guerre est encore plus claire.

Les sources faisant état de tontes signalent fréquemment un mari prisonnier.

Dans l'Oise, le Préfet propose, dans son rapport concernant l'assistance aux prisonniers, "que les procédures soient plus rapides pour donner satisfaction aux rapatriés pouvant apporter des preuves absolument certaines d'inconduite notoire".

On note, pour les femmes de prisonniers, une vigilance accrue du voisinage, une responsabilité collective qui ne leur pardonne pas d'avoir eu des relations avec un autre homme, encore moins si celui ci est membre des troupes d'occupation.

La particularité réside dans la complémentarité entre cette surveillance de la communauté et une loi promulguée le 23 décembre 1942 par Vichy - et non supprimée depuis - qui permet "au Ministère Public d'intervenir, sans plainte du mari, pour sanctionner le concubinage notoire d'une épouse d'une personne retenue au loin par suite des circonstances de la guerre".

Pour Michèle Bordeaux, " l'ordre familial est une affaire d'État qui ne peut être confié au seul mari, le Parquet est le substitut du chef de famille".

Il existe bien une représentation sexuelle de la collaboration. Le corps féminin est l'objet de cette trahison, c'est donc ce corps qui doit être châtié.




Dans l'émission de radio "Là-bas si j'y suis" diffusée sur France Inter en 2002, Daniel Mermet nous présente ces évènements des années noires et le témoignage de Madeleine, allias Mandeline.

Madeleine a enregistré cette séquence à 81 ans lors de son témoignage en 2002.
A choisir d'être envoyée en Allemagne pour le STO, le travail obligatoire, elle préfèrera rester à Aix Les Bains dans l'hôtel ou elle travaillera dans la restauration dans un premier temps et ensuite avec les Allemands en tant qu'aide à l'infirmerie et dans les blocs opératoires improvisés.

Madeleine rencontre Siegfried en 1943 alors qu'elle travaille à Aix Les Bains dans un hôtel qui a été transformé en hôpital par les Allemands. Cet hôtel reçoit bon nombre de blessés qui viennent de Casino en Italie ou une grande bataille se déroule.

Siegfried est alors un jeune adjudant chef de la Wehrmacht, un infirmier de 23 ans, blond aux yeux bleus, au visage souriant. Madeleine et Siegfried tombent amoureux, et ils développent alors une relation de couple.

Séparés un temps à la Libération, ils se retouveront et vivront ensemble en Allemagne après la guerre. Son fiancé allemand l’épousera en 1949 à Munich.
A la Libération, Madeleine sera tondue.

La "tonte" eut lieu un dimanche matin, sur "le parvis de la mairie" du village de Mure, devant "la foule rassemblée qui jetait des pierres". "Une estrade a été montée".

"Les gendarmes sont là, ils protègent et amènent les femmes sur cette scène. Madeleine est accompagnée d'un gendarme qui lui dit de se taire pour éviter le pire.

Elle monte sur cette scène, elle s'asseoit sur une chaise, puis elle est tondue sous les cris et les insultes".
Madeleine nous dit que c'était comme si on l'avait "amené à l'échafaud". Elle parle d'une scène "traumatisante" pour elle (depuis elle ferme les yeux chaque fois qu'elle repasse en voiture devant cette mairie de ce petit village).

Elle se souvient des insultes "Salope". "T'as pas honte" et des moqueries vicieuses "Alors, qu'est ce qui t'a plu chez ce boche, il avait un velours ?".

Dans certains villages, certaines villes, devant une foule en délire, la foule est allée jusqu'à déshabiller les femmes complètement sur la place publique avant de les tondre. Dans d'autres cas, on a peint des croix gammées sur leurs poitrines.

Nombreux sont ceux également qui témoignent de jets de pierre lancés sur ces femmes.



Aujourd'hui, cette épisode de honte faite à ces femmes est devenu un secret dans de nombreuses familles. La honte est toujours active dans ce secret comme on peut le voir au regard de deux informations communiquées lors de cette émission.

Dans les familles de femmes "Tondues", le secret est toujours là quand les mères n'ont jamais rien divulgué.
Comme nous le raconte cet auditeur de "Là-bas si j'y suis" en parlant de sa soeur sur le répondeur de l'émission, de nombreuses personnes nées en 1944 1945 ne savent toujours pas qu'elles sont issues d'une relation de leur mère avec un occupant allemand.

Le nouveau coup d'éclat de Georges Frêche, lundi 18 février 2008.

L’Occupation a marqué. Des histoires d’amour ont vu le jour. De ces unions secrètes sont nés des enfants… de la passion ou de la guerre. Une descendance franco-allemande, témoin de l’histoire.

Pour le politicien Georges Frêche, les femmes tondues à la Libération aurait pu être fusillées.

A la Libération, les femmes françaises ayant fréquenté des Allemands sont traquées et tondues par les résistants. Ce qui a priori ne choque pas Georges Frêche.

D’après Le Midi Libre, le socialiste aurait déclaré lors d’une inauguration du lycée Jean-Moulin à Béziers, le 12 février 2008 :

"Il existe aujourd’hui une mode qui consiste à protester contre les résistants qui tondaient les femmes qui avaient couché avec les Allemands pendant l’Occupation.

Elles ne pouvaient pas coucher avec les résistants ...?
Vous croyez que je vais pleurnicher parce qu’on leur a coupé les cheveux ? Mais c’était gentil ...!
On aurait pu les fusiller ... Mon père était officier de la Résistance : jusqu’à ma mort, je serai de ce côté !"

Fils de l’amour
Jean Jacques Delorme habite à Menton (06), il est membre de l’association Cœurs sans frontières.
Son histoire est singulière mais elle est la plus belle preuve d’amour entre une Française et un Allemand.

L’erreur de ses parents : s’être rencontrés au mauvais endroit au mauvais moment, début 1944. La guerre ne les a pas empêchés de s’aimer. Et Jean Jacques est né de cette romance.

Quarante ans plus tard
Mme Delorme peut s’estimer heureuse, elle n’a pas été tondue… simplement arrêtée, condamnée à un an de prison et déchue de ses droits, le 15 octobre 1944. Jean Jacques Delorme n’a jamais connu son père. Après une enfance douloureuse, il découvre la vérité à son propos.

Il confie au quotidien régional : "J’ai mis quarante ans pour retrouver sa trace".

Il y a deux ans, en Allemagne, il fait aussi la connaissance de son frère et de sa sœur. Des retrouvailles qui lui permettent de se reconstruire. Le plus grand réconfort de cet homme est sans nul doute de savoir que sa naissance est le fruit de l’amour.(Edition France Soir du lundi 18 février 2008 n°19724 page 8)


Photo Robert Capa

Au minimum, plusieurs dizaines de milliers de Françaises ont eu des relations avec l'occupant. On estime à au moins 50 000 le nombre d'enfants nés d'amours franco-allemands.

Précisons encore qu'il s'agit souvent de femmes de milieux modestes et que, à côté d'un nombre relativement significatif de "demoiselles des P.T.T.", on trouve surtout celles qui, comme elles, ont eu à fréquenter l'occupant en tant que femmes de service.

Les rues étaient joyeuses à la libération
Les parisiens trinquaient sur les nappes à carreaux
Pour fêter dignement la fin de l’oppression.
A nouveau sur les toits rayonnaient les drapeaux.

Mais les cris d’allégresse se couvrirent de haine
Lorsque vint la curée aux abords de la Seine.
De nombreux anathèmes fusèrent en taloches
Contre ceux soupçonnés d’avoir servi les boches.

Une femme eut le tort d’avoir offert son cœur
A un homme ennemi, un soldat vert de gris
La vindicte cruelle lui hurla son mépris
Au milieu d’une foule rongée par la rancœur.

Traînée par les cheveux elle fut emmenée
Au centre de la place sous une pluie d’insultes
Pour la faire payer cette vilaine pute
Pour la faire pleurer cette sale traînée.

De force elle s’assit sur un vieux tabouret.
Elle baissa les yeux ne voulant regarder
Les nombreux yeux avides de voir l’humiliation
Qu’elle allait endurer avec résignation.

Par des cliquetis sombres étant apostrophée
Une tondeuse agit, rasant sa chevelure
Le peuple s’en saisit en guise de trophée
Et cracha au visage de cette fille impure.

Elle quitta l’estrade sous tous les quolibets.
Etaient-ils préférables au vulgaire gibet ?
Car l’âme tourmentée d’un douloureux marasme
Fut toujours poursuivie d’injures et de sarcasmes.

Par zazou publié dans : poèmes communauté

A Quimper (Finistère), tondues par les Allemands.

Le 3 juillet 1944, Mado, 23 ans, a la tête rasée par les Allemands avec 21 autres femmes et jeunes filles de Quimperlé. Cette expédition punitive, destinée à venger deux jeunes femmes "Tondues" par des résistants pour avoir fréquenté l'ennemi, a été passé sous silence pendant de nombreuses années.



16 des 22 jeunes femmes "Tondues" par les Allemands, en guise de représaille
La photo a été prise à leur demande, quelques jours après la Libération...
En haut coin droit et gauche, les deux coiffeurs réquisitionnés


"Le 2 juillet 1944, un officier Allemand, amant d'une jeune femme tondue la veille par les patriotes, porte plainte à la Feldgendarmerie. Selon la loi du Talion, il est décidé de les venger en rasant la tête de 20 Françaises dont le frère, le mari ou le père sont connus comme résistants.

Le 2 juillet, il devait être onze heures du soir. J'étais déjà dans mon lit, quand j'ai entendu les "colliers de chien", les gendarmes Allemands, frapper à la porte et monter à grands pas dans l'escalier jusqu'à ma chambre. Je les entends encore ...



Ne sachant pas où, ni pour combien de temps ils m'emmenaient, ma mère m'a donné une robe d'hiver... Ils m'ont poussé dans une voiture et j'ai été emmennée au couvent des Ursulines, qui servait de prison sous l'Occupation.

Nous étions 22 dans une grande pièce avec des lits superposés. Je n'ai pas dormi de la nuit, j'ai regardé l'aube se lever... On ne savait pas ce qui nous attendait.

Au matin, ils nous ont toutes posé la même question :

"...si vous nous donnez le nom et l'adresse de résistants vous pouvez sortir. Sinon ..."

Aucune n'a parlé.

Ils nous ont fait descendre deux par deux dans une grande cage grillagée. Je suis descendue la première avec une autre jeune fille.Deux sièges nous attendaient. Les Allemands ont ordonné à deux prisonniers de nous couper les cheveux. Ces deux-là tremblaient, hésitaient.


J'ai dit à celui qui s'occupait de moi : "vas-y, avant qu'ils ne nous tuent !"
Puis les Allemands ont réquisitionné deux coiffeurs pour nous raser complétement la tête. L'une de nous a d'ailleurs épousé son tondeur après la guerre.

En remontant au deuxième étage de la prison, on ne se reconnaissait pas entre nous. Ils nous ont reposé la même question que la première fois, puis nous ont laissé repartir.
Quand, arrivée chez moi, je me suis regardé dans la glace, je me suis sentie déshabillée...

Une modiste nous a donné des turbans pour cacher nos crânes rasés.
Une fois à Quimper, on m'a pourtant jeté des pierres, croyant que j'avais été tondue par des patriotes, après la Libération, en aôut 1944.

En septembre de la même année, j'ai reçu un papier, frappé du tampon de la Résistance Française et signé par le chef de la police. Il précisé que j'avais été "Tondue", non pas par les patriotes à la Libération, mais par les "Boches" avant la fin de la guerre.

C'était important pour trouver du travail ... Pour l'honneur aussi ..."

La tondue
Georges Brassens
1964

La belle qui couchait avec le roi de Prusse
Avec le roi de Prusse
A qui l'on a tondu le crâne rasibus
Le crâne rasibus
Son penchant prononcé pour les " ich liebe dich ",
Pour les " ich liebe dich "
Lui valut de porter quelques cheveux postich's
Quelques cheveux postich's
Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens
Et les bonnets phrygiens
Ont livre sa crinière à un tondeur de chiens
A un tondeur de chiens
J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison
Parti pour sa toison
J'aurais dû dire un mot pour sauver son chignon
Pour sauver son chignon
Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur
En quatre m'ont fait peur
Quand, pire qu'une brosse, elle eut été tondue
Elle eut été tondue
J'ai dit : " C'est malheureux, ces accroch'-cœur perdus
Ces accroch'-cœur perdus "
Et, ramassant l'un d'eux qui traînait dans l'ornière
Qui traînait dans l'ornière
Je l'ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière
Mis à ma boutonnière
En me voyant partir arborant mon toupet
Arborant mon toupet
Tous ces coupeurs de natt's m'ont pris pour un suspect
M'ont pris pour un suspect
Comme de la patrie je ne mérite guère
Je ne mérite guère
J'ai pas la Croix d'honneur, j'ai pas la croix de guerre
J'ai pas la croix de guerre
Et je n'en souffre pas avec trop de rigueur
Avec trop de rigueur
J'ai ma rosette à moi: c'est un accroche-cœur
C'est un accroche-cœur

Tondeurs et oppositions et condamnations des tontes

Il est possible de définir deux catégories de tondeurs en utilisant le critère de la "légalité" de la tonte.
En premier lieu, des résistants, FFI, accompagnent ou effectuent une tonte. Auquel cas, les FFI agissent pour le compte de la "justice populaire", comme ce fut le cas de plusieurs exécutions sommaires lors de la Libération de Paris.

En second lieu, les tontes sont le fait de mouvement spontanés de la foule ou sont des initiatives personnelles appuyées par la foule. Ces tondeurs, sans avoir de pouvoir ou de hiérarchie, décident elles-même de la tonte et de la désignation des tondues.

Un peu partout, les FFI, FTP, CDL et autorités appellent à la fin des brimades et désapprouvent les tontes. De même, les tontes sont rapprochées des procédés fascistes dans la presse (parfois précédées d’encouragement à la tonte). Sartre s’élève également contre ce châtiment qu’il juge moyenâgeux.
Quelques femmes porteront plainte contre leurs tondeurs.

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